La non-directivité est un concept central dans l’approche centrée sur la personne (ACP) développée par Carl Rogers. Barry Grant propose une distinction éclairante entre deux façons d’appliquer ce concept : la non-directivité instrumentale et la non-directivité de principe. Cette distinction met en lumière les enjeux éthiques et pratiques qui influencent profondément le processus thérapeutique.

Deux conceptions fondamentales

La non-directivité instrumentale : efficacité avant tout

Dans l’approche instrumentale, la non-directivité est un moyen au service de la croissance du client. Pour le thérapeute instrumental, la question centrale est pragmatique : « Est-ce que cela facilite la croissance ? » Si la non-directivité se révèle efficace, elle est maintenue ; sinon, elle est adaptée ou même abandonnée au profit d’interventions plus directives. David Cain souligne à ce sujet que l’obligation stricte à la non-directivité peut paradoxalement restreindre la liberté du client et ralentir sa croissance. Ainsi, les thérapeutes devraient avoir la liberté d’adopter des stratégies variées en fonction des besoins spécifiques des clients.
Cette approche suppose implicitement une définition préalable de ce qu’est la croissance, indépendamment du cadre de référence du client, et confère au thérapeute la responsabilité de déterminer le meilleur moyen de favoriser cette croissance.

La non-directivité de principe : respect et autonomie

À l’opposé, la non-directivité de principe se fonde sur un respect absolu de l’autonomie du client. Le thérapeute s’abstient délibérément de diriger ou d’influencer activement le processus thérapeutique. L’objectif n’est pas la croissance en soi, mais plutôt de créer un espace dans lequel le client peut explorer librement ses propres ressentis et trouver ses propres solutions.
Cette attitude ne cherche pas à provoquer une transformation précise, mais se manifeste par une écoute active, un accueil inconditionnel et une réponse empathique aux demandes explicites du client. Ici, la question primordiale est : « Est-ce que cela respecte le client ? » La non-directivité devient ainsi une posture morale, un engagement à honorer l’autonomie et l’unicité de chaque personne.

Le paradoxe de la non-directivité de principe

Étonnamment, dans la non-directivité de principe, le thérapeute peut parfois sembler directif en répondant à des demandes spécifiques du client, telles que des conseils ou des explications. Cette apparente contradiction s’explique par la priorité donnée au respect de la demande explicite du client plutôt qu’à une volonté du thérapeute de guider ou influencer. La décision d’offrir ou non une réponse dépend uniquement de la compétence du thérapeute et de son jugement moral sur la légitimité de la demande.

Liberté thérapeutique : entre contrainte et ouverture

Dans l’approche instrumentale, la liberté thérapeutique est large : elle permet au thérapeute d’utiliser diverses techniques pour faciliter la croissance. À l’inverse, la non-directivité de principe restreint volontairement les interventions pour éviter toute influence indue sur le client. Cette contrainte auto-imposée, loin d’être une limitation négative, constitue un cadre éthique qui garantit une liberté maximale pour l’exploration autonome du client.

Justifications morales de la non-directivité de principe

Barry Grant identifie deux justifications morales majeures pour la non-directivité de principe :
  1. Une justification libérale basée sur le respect de la dignité et du droit à l’autodirection de chaque individu, affirmant la valeur inconditionnelle de l’autonomie personnelle.
  2. Une justification spirituelle ou presque religieuse, fondée sur une attitude de reconnaissance profonde du mystère et de la singularité de chaque personne, qui doit être honorée indépendamment de tout objectif thérapeutique précis.

Conclusion : deux chemins complémentaires mais distincts

En fin de compte, ces deux conceptions de la non-directivité reposent sur des bases philosophiques et éthiques très différentes. La non-directivité instrumentale, pragmatique, vise explicitement l’efficacité thérapeutique et peut adapter ses méthodes pour maximiser la croissance du client. À l’inverse, la non-directivité de principe se place sur un plan strictement éthique, privilégiant avant tout le respect absolu de la liberté du client et de son autonomie décisionnelle.
Cette distinction fondamentale invite chaque thérapeute à réfléchir attentivement à ses propres engagements éthiques et pratiques dans la relation d’aide, offrant ainsi une vision claire des implications de chaque approche pour la pratique de la psychothérapie centrée sur la personne.
Source : Barry Grant, « Non-directivité de principe et non-directivité instrumentale dans la thérapie centrée sur la personne » (2009).