Vers une intégration humaniste des expériences spirituelles et mystiques
Carl Rogers, pionnier incontournable de l’approche humaniste en psychologie, s’est principalement consacré durant sa carrière à l’exploration du potentiel de croissance personnel à travers la relation thérapeutique. Longtemps distant des courants transpersonnels, Rogers, vers la fin de sa vie, s’est pourtant ouvert à une dimension spirituelle et mystique qui présente des convergences étonnantes avec la psychologie transpersonnelle émergente à son époque.
Rogers et la psychologie transpersonnelle : des trajectoires parallèles
Dès les années 1960, Abraham Maslow, cofondateur avec Rogers de la psychologie humaniste, avait déjà commencé à intégrer des expériences mystiques (« peak experiences ») dans ses recherches, ouvrant ainsi la voie à une quatrième force en psychologie – la psychologie transpersonnelle. À la différence de Maslow, Rogers est resté longtemps réservé vis-à-vis de cette dimension, focalisé sur la relation thérapeutique immédiate et les expériences subjectives vécues par ses clients.
Pourtant, à partir des années 1980, Rogers décrit lui-même avoir vécu des états de conscience modifiés lors de séances thérapeutiques ou de groupes, où il atteignait une qualité de présence hors du commun :
« Lorsque je suis au mieux de ma forme, en tant qu’animateur de groupe ou thérapeute, […] lorsque je suis peut-être dans un état de conscience légèrement modifié, alors tout ce que je fais semble être plein de guérison. Alors, ma simple présence libère et aide l’autre. » — Carl Rogers, A Way of Being (1980, p.129)
L’émergence d’une dimension mystique chez Rogers
Tobin Hart, chercheur en psychologie transpersonnelle, relève que les expériences décrites par Rogers en fin de carrière se rapprochent clairement de connaissances mystiques, présentant des caractéristiques typiques des expériences transpersonnelles :
« Les descriptions par Carl Rogers de ses moments vécus en thérapie semblent révéler une forme de connaissance mystique, qui est au fondement même de son approche. » — Tobin Hart, Carl Rogers as Mystic? (1999)
Rogers lui-même reconnaît explicitement cette dimension spirituelle :
« Nos expériences en thérapie, et en groupe, impliquent clairement ce qu’il y a de transcendant, d’indescriptible, de spirituel. Je suis contraint de croire que, moi, comme beaucoup d’autres, j’ai sous-estimé l’importance de cette dimension mystique et spirituelle. » — Carl Rogers, A Way of Being (1980, p.130)
Convergences empiriques avec Grof et Wilber
Stanislav Grof et Ken Wilber, figures clés de la psychologie transpersonnelle, décrivent des états élargis de conscience, transcendant les frontières habituelles de l’ego. Rogers n’a pas développé de théories aussi structurées que Grof ou Wilber, mais ses expériences personnelles tardives témoignent d’une convergence empirique inattendue avec leurs idées :
« Je suis ouvert à des phénomènes encore plus mystérieux – la précognition, la télépathie, la clairvoyance, […] Ces phénomènes ne cadrent peut-être pas avec les lois scientifiques connues, mais nous sommes peut-être sur le point de découvrir de nouvelles formes d’ordre. » — Carl Rogers, A Way of Being (1980, p.82-83)
Rogers admet ainsi que l’esprit humain pourrait posséder une portée plus vaste que ce que les modèles psychologiques classiques admettaient jusqu’alors, rejoignant en cela l’ouverture radicale proposée par les théoriciens transpersonnels.
Brian Thorne et l’héritage spirituel de Rogers
Brian Thorne, psychologue et spécialiste de Rogers, estime que cette ouverture spirituelle tardive constitue un apport essentiel à l’évolution future de l’humanité :
« Brian Thorne parle de la “puissance mystique” de la thérapie centrée sur la personne. Il estime que l’histoire montrera que Rogers aura été l’une des influences majeures dans l’évolution spirituelle de l’humanité au XXIe siècle. » — Brian Thorne, The Mystical Power of Person-Centred Therapy (2002)
Une intégration humaniste du spirituel
Sans renoncer à ses principes fondateurs – empathie, congruence, respect inconditionnel – Rogers a finalement incorporé dans son approche une dimension spirituelle et mystique. Sa démarche empirique et pragmatique lui a permis d’aborder ces territoires inexplorés sans basculer dans le dogmatisme :
« Rogers est resté un humaniste ouvert d’esprit jusqu’au bout : […] Son intérêt tardif pour le spirituel ne doit pas occulter l’essence de son message, toujours centré sur la croissance personnelle, la relation et l’expérience vécue. » — John K. Wood
Conclusion
L’ouverture tardive de Carl Rogers à la dimension transpersonnelle illustre comment l’approche humaniste peut s’étendre vers l’intégration des expériences spirituelles et mystiques. Cette convergence, inattendue mais cohérente avec son parcours humaniste, offre une voie vers une compréhension plus complète de l’expérience humaine, réunissant psychologie humaniste et psychologie transpersonnelle dans un même élan vers l’épanouissement intégral de la personne.